De tous mes sens, qui, je sais aujourd’hui, sont tous exacerbés, le toucher est le plus difficile à gérer.

Je suis une hypersensible sensorielle. Je l’ai toujours été. J’ai aussi toujours cru que j’étais folle ou dérangée ou anormale et j’ai appris à cacher mes particularités — mes caprices auraient dit Grand-maman et Paternel — au fil des ans, mais pas toujours très bien ni sans conséquence sur mon estime de moi et mon bien-être.

Mon récent bilan neuropsychologique confirmant un TDAH et mon très haut potentiel (ce qu’on appelle la douance ou la surdouance) m’a appris que cette hypersensibilité était en fait liée à ces deux états et que c’en est une comorbidité (je n’aime pas trop le terme) très courante.

Bref, on m’a confirmé que je n’étais ni folle ni dérangée ni anormale. Ouf! Cela dit, ça demeure (encore) un défi à gérer. La pandémie en a rajouté une couche, mais une couche intéressante…

[Aparté. Cet article de l’Association québécoise pour la douance brosse un tableau bien résumé de l’hypersensibilité chez l’adulte doué, si jamais ça t’intéresse d’en savoir plus.]

Le toucher, donc. Je vous en parlais l’autre jour dans mon billet sur le disco. J’évoque souvent plusieurs sensations et ressentis qui sont liés aux sens — surtout l’auditif avec la musique —, mais rarement liés au toucher. Je m’en suis rendu compte au moment d’écrire ce billet disco. Et je ne parle jamais de mon « état », bien que nombre de personnes aient perçu ma réserve physique sans trop me poser de question.

L’explication est simple : mon corps (mon cerveau) absorbe une trop grande quantité d’information sensorielle et n’arrive pas à la traiter correctement ou la traite trop rapidement. La surcharge d’info me submerge. Je réagis de plusieurs façons et dans les cas extrêmes, ça peut même se traduire en colère, en fuite, en apathie ou en anxiété (surtout si je ne peux pas éviter la situation). Les surcharges visuelles et auditives me guettent aussi régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement. (Allô les multiples notifications de tous nos bidules électroniques et des équipes sur Teams au bureau.) Le défi réside dans la capacité de trouver le bon équilibre entre les mesures d’atténuation (casque antibruits, bruit blanc, éclairage tamisé, vêtements confortables, éviter les gens, les situations et les endroits agressants, etc.) et le ne-pas-se-sentir-trop-extraterrestre-par-rapport-aux-gens-qui-t’entourent.

[Fun fact. Petite, je pouvais piquer des crises et courir fébrilement dans la maison quand j’entendais de l’eau couler du robinet trop longtemps. Je fais la même référence plus bas, mais c’était comme d’entendre des ongles sur un tableau. Douloureux. Disons que le coulage du bain n’était pas facile. Et que la douche aujourd’hui est encore un effort qui je dois rationaliser (parce que oui, l’hygiène et tout, hein). Oui, j’ai encore mal (littéralement) chaque fois que j’entends de l’eau couler.]

Dans le cas du toucher, les hugs me rendent inconfortable et je n’aime pas qu’on me touche.

[Aparté deux. Je rassure tout de suite les vicieux, mes relations sentimentales sont, surtout si je choisis le bon partenaire, exclues de cet inconfort, quoique j’aie des préférences particulières (préférences qui font le grand bonheur de certains). Les effleurements, très peu pour moi. Ils me font mal de toute façon (oui, vous avez bien lu). Le romantisme à la Harlequin, oubliez ça, donc.]

Toutes les formes de toucher y passent : les « deux becs » sur les joues (deux bulles qui se touchent inutilement + la gestion des odeurs, deux autres hypersensibilités), les étiquettes sur la peau, la sensation et la texture de plusieurs tissus (la laine oui, mais plusieurs tissus synthétiques = comme de la musique qui fausse), la sensation de certains objets (les manches de bois non cirés et le papier non couché = ongles sur un tableau; Google est ton ami si tu ne sais pas ce qu’est du papier couché) et aussi la texture des aliments, qui est parfois la seule source de plaisir que je retire de manger (les chips! l’eau pétillante! les Weetabix et leur croustimou! le Jell-O! Alouette!), mais souvent aussi source de dégoût profond.

[Fun fact deux. Parfois je porte un maillot de bain sous mes vêtements l’hiver parce que l’effet de compression me réconforte.]

Donc, la pandémie m’a rendu un service en m’évitant d’avoir à gérer hugs, câlins, touchers non sollicités et autres « agressions » physiques, c’est ça?

Non.

De tous mes sens, qui, je sais aujourd’hui, sont tous exacerbés, le toucher est le plus difficile à gérer, car il me manque, justement.

Ce hug maladroit (de me part), ce toucher de la main par inadvertance, la proximité des ami.e.s, le son — oui, même difficilement gérable par moi — d’un endroit animé, une petite foule joyeuse. Tout cela était ma source de touchers discrets, parfaits pour mon cerveau, ma peau et ma proprioception d’hypersensible.

C’est quand on nous enlève quelque chose qu’on se rend compte à quel point on y tenait, hein.

Maudite pandémie. [Poing en l’air]

[Aparté final…]

Ce constat (facile) m’a tout de même amené à penser à comment la COVID allait changer notre rapport aux autres, oui, mais celui aux sens, aussi. Les masques à visière pour malentendants, oui, les productions musicales ou auditives qui exploitent la puissance du numérique (je vous recommande l’excellent podcast Echo, d’ailleurs), oui aussi, mais dans l’espace public collectif, comment réagirons-nous après plusieurs mois de pandémie, privés de contacts humains à proximité et multiples, de scènes visuelles complexes en trois dimensions, de sons « en direct »?

Puis, je suis tombée sur cet article ce matin : Food Diaries: What People Who Lost Their Taste to COVID-19 Eat in a Day

Voilà certainement un premier aperçu de nos victimes sensorielles de la COVID : ceux et celles qui souffrent encore d’anosmie et d’agueusie, plusieurs mois après s’être remis de la maladie.

Les habitudes de plusieurs ont dû être complètement revues :

“Cheese has been delicious the whole time; it’s one of the only things that tastes the way it always has. I used to try to eat pretty plant-based, but I’ve completely given up on that with COVID.”

“I didn’t use to be so carb- and dairy-heavy, but now that’s a big part of my diet.”

“I’m discovering basically everything has onion or onion powder in it, which sucks. It’s challenging, cutting something that’s a staple ingredient out of your diet.”

Il sera intéressant de voir comment ces gens s’adapteront au fil du temps. Ou encore comment l’industrie alimentaire s’adaptera à eux, s’ils sont assez nombreux? Des restaurants spécialisés, peut-être? Des aliments et ingrédients spécialement conçus? Des innovations qui misent sur la texture plutôt que sur le goût?

Car, une phrase a particulièrement retenu mon attention :

“I’m paying attention more to textures than I did before because […] it’s the only way to derive any sort of interaction or enjoyment with food.”

AH-HA! I know EXACTLY how you feel, dude!

Entre hypersensible et (désormais) hyposensible, j’imagine qu’on se comprend.

Maudite pandémie. [Poing en l’air]