Ah, que j’aime le bruit du vent qui fait trembler les feuilles dans les arbres! me suis-je dit, hier soir entre deux séances de lectures dans le cadre de la Nuit de la lecture…

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Heu. Non. Nous sommes en plein mois de janvier. Les feuilles sont bien endormies dans leurs bourgeons, qui sont eux-mêmes bien loin d’être éclos. Il fait -20, après tout. En plus j’habite au sixième étage. Peu de chance que j’entende le bruit du vent dans les feuilles, même l’été prochain. Ainsi va la vie en ville.

Ah! Le bruit des bâches sur l’immeuble voisin, encore en construction.

Dommage. Et vivement l’été.

Le bruit du vent.

Au lac Ouareau et dans les bois autour du chalet. J’ai sept ans. Mon père fume la pipe au salon, près du foyer, et lit. Ma grande sœur est partie bambocher avec les ados du coin. Je suis perchée sur un arbre, dans le bois, juste assez loin pour ne rien voir ni entendre des chalets avoisinants, mais juste assez près du lac pour entendre les filles du camp Ouareau scander le slogan du moment. Il change chaque été. Cette année, c’est une sorte de yodeling. Je les ignore. Elles sont trop bruyantes à mon goût, de toute façon. Je grignote les quelques racines de salsepareille que j’ai arrachées sur le bord des sentiers. Mon père m’a montré comment identifier la plante avec sa Flore laurentienne. J’ai de la résine plein les cheveux, à force de monter dans les arbres. J’absorbe le silence de la forêt et le bruit du vent dans les feuilles. Plus tard, on ira au lac en famille. Je pourrai essayer de me démêler les cheveux collés, là. Ou pas. Je préfère partir à la recherche de bestioles et de grenouilles plutôt que de me soucier de mes cheveux. Grand-maman va me chicaner. Surtout que c’est elle qui sera prise pour me démêler la tignasse. On prendra un peu de soleil sur le quai des Tremblay : notre chalet, perché lui-même dans les arbres, est bien loin des eaux tumultueuses du lac. Le vent causeur de moutons, le bleu foncé du lac lorsque prend fin l’été, le bruit des bateaux à moteur et des skieurs qui tombent à l’eau, le clapotis constant du quai en réponse à tous ces stimuli. Le bruit du vent au lac Ouareau.

Le bruit du vent. J’ai quatre ans, nous sommes chez des amis dans Charveloix. La nuit tombe, on me dit que je dois aller me coucher. Ma chambre est au grenier. Le bois craque, le vent siffle. J’entends des loups hurler au loin. J’ai peur du noir, du vent, des loups.

Le bruit du vent. J’ai 12 ans. Je suis en Belgique chez des amis de la famille, qui habitent un manoir un peu décrépit du XVIIe siècle. La nuit tombe, je ne veux pas aller me coucher. Ma chambre est immense, le lit en fer est très vieux, les draps de coton sont glacés, tout comme la pièce. Pas de chauffage dans cette partie du château. Ni de w.c. d’ailleurs : je devrai me contenter du pot de chambre, qui est magnifique lui. Le vent s’engouffre dans la pièce mal isolée, j’hallucine la lampe vaciller telle une bougie, j’entends les planchers craquer. J’ai peur du noir, du vent, des fantômes.

Le bruit du vent. J’ai 25 ans. Mon premier appartement sur la rue Casgrain dans Villeray. De beaux grands arbres matures devant mon balcon. La porte patio est ouverte. Canicule. Je sue des paupières. Je respire chaud. Je suis avec mon amant du moment. Le maigre coin de divan modulaire qui me sert de canapé accueille nos ébats éteints par l’alcool et les substances planantes. Je n’ai peur de rien, je suis trop gelée. Je n’entends pas le bruit du vent. J’y serai sourde pendant quelques années.

Le bruit du vent. J’ai 45 ans. Voyage de couple à Terre-Neuve. Violent, froid, furieux, cinglant, mauvais, puissant, fou, il est partout et me fouette sans relâche. Mais il étouffe ses paroles malsaines et me donne du répit. Je mets fin à notre relation au retour.

Le bruit du vent. Haïti, 2018. Les images traumatisantes, la pauvreté, le feu destructeur, le bruit partout. Le refuge, en fin de journée, du haut de mon hôtel cossu de Pétion-Ville, dans la douceur de la brise antillaise teintée de coups de fusil au loin, une Prestige à la main. Je ne garde aucun souvenir olfactif d’Haïti, que celui de la brise.

Le bruit du vent. Cercle polaire, Norvège, 2019. Le bruit des glaces qui craquent. Le silence étouffé de la neige et la nuit polaire qui m’enveloppent. Je suis bien.

Une simple bâche et tous ces souvenirs…

Il faudra que je me trouve un parc avec des arbres feuillus à écouter, l’été prochain.